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Notre étude nous a conduit sur les traces des idées politiques de Georges Brassens. Nous avons mis à jour de nombreuses sources convergentes: Brassens a longuement parlé de politique. Il s'est même engagé, une courte période durant, dans les rangs de la fédération anarchiste. Ses écrits, ses chansons, et ses entretiens témoignent d'une réflexion profonde sur la liberté. Brassens était surtout sensible à cet enjeu : tout ce qui peut réduire la liberté de l'homme fait résonner la corde libertaire du poète.

La politique est naturellement sur le chemin de sa réflexion. Institution contraignante et liberticide, Brassens va très vite concentrer une grande charge affective négative sur elle. Appartenant par essence à une échelle qui dépasse l'homme, elle ne peut qu'écraser la liberté et la personnalité de chacun, dans une norme astreignante et médiane. La politique ne pouvait donc qu'être présente dans la vie et l'œuvre du poète. Brassens est de ceux qui aiment assumer toutes les facettes de leur personnalité, et chanter des chansons fidèles à leur vision du monde. Brassens a une éthique forte.

... Brassens a donc commencé par écrire son opinion dans des journaux. De façon constructive lorsqu'il s'agissait de la maquette d'un journal généraliste. De façon haineuse, lorsque le support s'y prêtait. Dans Le libertaire, le journal de la fédération anarchiste, Brassens fustige pèle mêle les communistes, les policiers - bras armé de l'Etat, les politiciens… Dans son élan, il engage les masses à se soulever contre la "pourriture" politique. Mais comme il le dit lui même, les premières années de la vie d'un adulte sont propices aux épanchements passionnels. Et bientôt, Brassens quitte la fédération anarchiste. Il en restera sympathisant, mais oubliera peu à peu ses espoirs d'insurrections sanglantes.

Brassens entre alors dans sa période sceptique, qui durera jusqu'à la fin de ses jours. La politique ne sera plus pour lui qu'une affaire de refus. Il en parlera systématiquement comme d'une contrainte. Une contrainte d'autant plus pesante qu'il ne croit plus en un monde meilleur. Il a appris que beaucoup d'hommes sont mauvais, et que les institutions politiques sont nécessaires pour les contenir dans une attitude respectable. Brassens abandonne donc ses rêves de destruction, puisqu'il sait qu'il faudrait reconstruire à la place du vide. Et c'est encore là ce qui lui fait le plus horreur. Reconstruire, c'est prendre le risque de mettre en application quelques idées, des idées comme ca, qui viennent et qui font, trois petits tours, trois petits morts, et qui s'en vont. Brassens a désormais peur du mouvement en politique. Il se fait l'apôtre du minimalisme. Il souhaite que la politique oublie les grands changements, et qu'elle se préoccupe de ne pas trop empiéter sur les plates bandes des hommes qui ont le malheur d'aller un peu au delà de la norme.

... Brassens est résigné. Mais cela ne l'empêche nullement de chanter contre la politique, et contre ceux qui la singent - les hommes, dés qu'ils sont en groupe de plus de quatre. La politique est porteuse de tous les maux. Elle tue, elle écrase les personnalités, elle condamne ceux qu'elle décrète comme fautifs. Brassens d'être obligé de suivre par la force les belliqueux, qui décrètent que les Allemands sont tous des êtres malveillants. Il peste de devoir vivre dans un monde colonisé par les imbéciles heureux qui sont nés quelque part. Il désespère de voir les hommes se faire piéger éternellement par les mêmes espoirs d'un monde meilleur, et y laisser leur peau.

Il frappe aussi. Il frappe sur les curés, et il frappe sur les agents de police, symboles des dogmes, de la contrainte, du pouvoir physique et symbolique du groupe sur chacun. Il lui arrive aussi parfois d'exalter les êtres et les symboles qui défient la ligne droite imposée par la société et l'Etat. Il exalte la ligne brisée, insolente, qui n'en fait qu'à sa guise. Il défend et exalte tous les parias qui souffrent des mêmes contraintes que lui. Il exalte l'adultère, le non-mariage. En un mot, ceux qui ne se fondent pas dans la norme. Et dans le reste de son œuvre, il se réfugie, dans son petit univers personnel, éloigné des considération séculières. Il revendique cet eldorado artistique éloigné des lieux communs de l'engagement, où l'on respire l'air épuré des siècles passés.

... Il faut encore que nous rattachions Brassens à une famille politique, car c'est chose possible. L'essentiel de ses opinions politiques convergent vers une certaine forme d'anarchisme, proche de celui de Jünger. Brassens possède une haute idée de la liberté, une idée qui dépasse de loin ce que les libéraux y voient. Une liberté sur laquelle ne pèse aucune contrainte. Une liberté qui n'est qu'une utopie, puisqu'elle ne pourrait exister que si tous les hommes étaient tolérants. Peu importe. Ce n'est qu'au prix d'une telle liberté que les rancœurs politiques de Brassens pourraient enfin être apaisées. Mais - nous l'avons vu -, Brassens est trop farouche, trop prudent pour espérer voir venir l'avènement d'un monde vraiment libre. A l'image de Jünger, il pense qu'il est vain de préparer son voyage vers Utopia. C'est un voyage impossible, et bien trop dangereux. Et qui à ce titre ne restera que la nostalgie d'un rêve mis de côté.

Demeure chez Brassens la fameuse hypersensibilité à l'oppressif que partagent tous les anarchistes, et dont certains font une finalité. C'est elle qui permet de garder toujours un œil sur le pouvoir politique. Cette hypersensibilité, on peut l'apprendre aux autres, et ainsi améliorer insensiblement le monde dans lequel on vit. C'est là la seule forme d'engagement que Brassens ait jamais suivie. Brassens s'est tenu à l'écart de l'agitation de 1934, Brassens n'a pas souhaité saisir l'opportunité de mai 68. En aucun cas Brassens n'aurait voulu parler pour un autre. En aucun cas Brassens n'aurait voulu tenter de mettre en application sa petite utopie politique personnelle - à supposer qu'il en ait eu une.

... Brassens ne sera pas pris au piège de ses propres critiques. Il ne donnera pas sa vie pour les idées. Brassens n'oserait pas même donner un conseil en matière de politique. Si l'on souhaite s'inspirer de son œuvre, on ne pourra en retirer que l'idée suivante : seuls valent la retenue et le doute. Le doute de soi, y compris, et donc la modestie. Si l'on fait un pas vers quelque chose, ce doit être un pas vers plus de liberté, et plus de respect.

Et c'est là le dernier aspect de la pensée politique de Brassens: faut d'être un révolutionnaire, Brassens s'est voulu moraliste, un peu à la manière d'un homme qu'il admire - Lafontaine. Brassens a une haute idée du comportement idéal des hommes. Et il chante en partie pour que ceux-ci suivent ses conseils : pardon, respect, amour, générosité - à l'échelle de l'individu seulement. Dans cette seule formule est concentré son programme de réforme de la société - une réforme précisément non-politique. Cette seule recette permettrait aux hommes de s'entendre, et de vivre en harmonie, à l'écart de la polis, et de la pression insupportable du groupe sur les individus isolés. Mais Brassens ne croit pas en la bienveillance de tous les hommes. Et on peut dire que ses idées politiques sont fondamentalement pessimistes.

 
     

Nicolas SIX


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